Le point sur le préjudice esthétique

Le préjudice esthétique est représenté, par l'ensemble des disgrâces, statiques ou dynamiques qui peuvent prendre la forme non seulement de cicatrices, qui enlaidissent l'aspect physique de la victime mais aussi celles de mutilation (amputation), de déformation, ou de rupture de l'harmonie du corps humain (paraplégie, hémiplégie ou tétraplégie...) de sa gestuelle ou de sa démarche (claudication) générant chez la victime, une souffrance morale d'autant plus vive que son aspect disgracieux ou délabré peut être une cause de répulsion qui entrave sa vie relationnelle ou son avenir.

Evaluation du préjudice esthétique.

L'évaluation du préjudice esthétique se faitselon une échelle graduée de 1 à 7. Mais en réalité, le préjudice esthétique, peut faire l'objet, par l'expert médical, de deux types d'appréciation, l'une subjective qui tient compte de l'âge de la victime, de son sexe, de sa profession, de la localisation et de la nature de la disgrâce physique, l'autre objective, la plus stricte qui élimine la spécificité du blessé, évaluant le préjudice par rapport à un sujet abstrait.

Ainsi, doit-on distinguer, pour l'importance du préjudice esthétique, selon que la victime est habillée ou déshabillée? Dans une espèce où l'expert judiciaire avait opéré cette distinction en retenant le préjudice esthétique de 1,5/7 dans un cas et 4,5/7 dans l'autre, la Cour de Lyon (6e ch., 11 juin 1997 : Juris-Data n° 056645) a considéré à bon droit qu'une telle distinction ne se justifiait pas et que le préjudice esthétique pour une jeune femme de 21 ans, devait être évalué objectivement, dès lors qu'elle supporte les atteintes visibles à son intégrité physique et doit, en conséquence, adapter sa tenue vestimentaire.

Pourtant, le préjudice esthétique est, par nature subjectif et personnel. Mais sous cette face, peut s'en révéler une autre ; en effet, il revêt un caractère patrimonial et objectif, lorsqu'il a une incidence professionnelle (acteur ou actrice, modèle, mannequin, strip-teaseuse, vendeuse, etc…) et d'une manière générale toute personne en contact avec la scène ou le public.

Dans cette hypothèse, le retentissement professionnel ou économique est pris en compte, dans l'indemnisation du déficit fonctionnel ou du préjudice professionnel. Il n'appartient, ni à l'expert, ni au médecin conseil de l'assureur, de majorer la qualification du préjudice esthétique, en considération de cette incidence professionnelle.

L'une des questions les plus controversées, mais récurrente, est celle de savoir si la victime, pour réduire ou effacer les effets de sa disgrâce physique (cicatrice, ou déformation) et, par là même son indemnisation, est tenue de se soumettre à une intervention chirurgicale.

Quelle est donc l'incidence du refus par la victime d'une intervention chirurgicale, sur l'indemnisation de son dommage esthétique ?

Il est rare, en fait que la victime se dérobe à une intervention chirurgicale destinée à atténuer ou faire disparaître sa disgrâce physique ; mais nul ne peut être contraint de se soumettre à une intervention chirurgicale, en raison de l'inviolabilité du corps humain que consacre l'article 16-1 du Code civil.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a estimé, dans un arrêt du 19 mars 1997 (Bull. civ. II, n° 86 ; Resp. civ. et assur. 1997, comm. n° 191 ; RTD civ. 1997, p. 675, obs. P. Jourdain) que la victime d'un accident n'avait pas l'obligation de se soumettre à l'intervention destinée à la pose d'une prothèse, dès lors « qu'il résulte de l'article 16-3 du Code civil que nul ne peut être contraint, hors les cas prévus par la loi de subir une intervention chirurgicale ».

Préjudice esthétique temporaire et préjudice esthétique permanent.

De par sa nature, le préjudice esthétique est un préjudice permanent, la victime devant supporter définitivement l’altération de son apparence physique.

L’objet de l’indemnisation sera donc de réparer un préjudice esthétique constaté à la consolidation de l’état séquellaire de la victime.

Or, il peut être observé que, durant la maladie traumatique, la victime subisse bien souvent des atteintes physiques, voire une altération de son apparence physique, certes temporaire, mais aux conséquences personnelles très préjudiciables, liée à la nécessité de se présenter dans un état physique altéré au regard des tiers. Mais ces disgrâces apparentes peuvent se réduire ou disparaitre au fil du temps. Elles doivent néanmoins faire l’objet d’une évaluation et d’une indemnisation.

En effet, il s’agit d’un poste important pour les grands brûlés, les traumatisés de la face et les enfants pour lesquels on est obligé de différer les interventions de chirurgie esthétique mais, contrairement à ce qui est fréquemment soutenu, il n’est pas limité à ces cas.

Il faut se prononcer en fonction des photographies réalisées peu de temps après le fait dommageable, du rapport d’expertise, de la durée durant laquelle il a été subi et de l’âge. L'évaluation pourra être faite par référence au préjudice esthétique permanent en tenant compte cependant de son caractère temporaire.

Seront considérés comme faisant partie du préjudice esthétique temporaire, l’apparence générale après les faits, les hématomes, les paralysies, cicatrices, plaies, brulures et lésions cutanées, les troubles de la voix, de l’élocution, le port d’un fixateur externe, le fauteuil roulant, béquilles, plâtre, boîterie, etc... Ce préjudice pourra être côté de façon dégressive au fil des réparations de chirurgie plastique par exemple.

La nécessité de porter une orthèse constitue un préjudice esthétique temporaire, dès lors que le port de cette orthèse, qui constitue une atteinte à son harmonie physique, est un préjudice distinct des souffrances endurées et autonome de nature à ouvrir droit à indemnité. (Conseil d’Etat 05.12.2013)

Doit également faire l’objet d’une indemnisation, l’apparence physique altérée temporairement par de nombreuses plaies qui ont cicatrisé lentement et par des déplacements effectués en fauteuil roulant puis au moyen de cannes anglaises. (Cour de Cassation, Ch. Crim, 29.10.2013)

La réparation du préjudice esthétique.

Le référentiel d’indemnisation est sensiblement le même que pour les souffrances endurées.

Bien évidemment, si le préjudice esthétique a une incidence économique professionnelle, cet aspect économique du préjudice esthétique doit être indemnisé, soit au titre des pertes de gains professionnels futurs, soit au titre de l’incidence professionnelle.

Il n’y a pas de proportion préétablie entre les sommes allouées pour le préjudice esthétique temporaire et pour le préjudice esthétique définitif. L’indemnisation de ce préjudice sera établie en fonction de la cotation médico-légale, mais aussi modulé en fonction de l’âge, du sexe et de la situation personnelle de la victime.